Fret : la course à l'échalotte

Publié le par cercledeburrunz.over-blog.fr

Point de vue de Jacques Saint Martin, ancien président de la Chambre de Commerce de Bayonne Pays basque:

La création d’une nouvelle ligne TGV au Pays basque est selon moi une entreprise aussi risquée qu’Eurotunnel. Le problème de ce dossier complexe est que nous sommes face au lobby du Rail. Il est très puissant. Il sait également jouer de son statut de « service public » qui lui assurerait de facto un brevet d’impartialité ! C’est ainsi qu’il domine un débat douteux sur un dossier qui l’est encore plus : il en a imposé la méthode, l’argumentaire, les statistiques et même les experts indépendants ! Tout cela au mépris de la concurrence, du financement et de la rentabilité.

Mes arguments contre la construction d’une nouvelle voie peuvent paraître paradoxaux au regard du trafic de camions sur nos autoroutes. Nous en faisons tous quotidiennement la désagréable expérience. Mais peut-on croire la Sncf lorsqu’elle prétend vouloir développer l’activité fret alors que celle-ci diminue de 10% tous les ans depuis plus de 10 ans ? A chaque exercice les prévisions à un an ne sont jamais atteintes et on voudrait nous faire croire à celles de 2007 à 2020 !

Le fret rail est en chute libre partout en Europe. Aujourd’hui, il représente en France moins de 3% du transport marchandises, contre 95% pour la route. On peut le regretter, le déplorer, mais c’est un fait. Inutile de faire l’autruche et espérer un renversement de tendance, invraisemblable en l’état actuel des politiques publiques. Un ancien ministre cheminot avait proclamé il y a huit ans sa volonté de doubler le fret en dix ans. Il y a, bien sûr, renoncé et son actuel successeur, plus prudent, se borne à dire que l’actuel plan de sauvetage est « celui de la dernière chance ».

Les défenseurs d’une nouvelle ligne TGV (réservée au fret et aux voyageurs ne faisant que traverser le Pays basque) partent donc du principe que ce qui n’a jamais pu se réaliser depuis des décennies, le serait dans les années à venir. Mais personne n’évoque l’éventualité d’une utilisation de la ligne inférieure aux prévisions de fret ! Que se passera-t-il si le trafic ne fait « que » doubler, ou tripler, alors qu’on prophétise sa multiplication par dix ? Cela ne peut être exclu dans un secteur où la concurrence de la route est très puissante et où la voie maritime assure le principal du trafic. Dans ces conditions, la création d’une ligne serait un non-sens : outre son impact écologique, elle aggraverait le déficit de la Sncf, supérieur au fameux « trou de la Sécu », mais bien mieux camouflé !

Les pouvoirs publics se veulent rassurants. Le Directeur Régional de l’Equipement n’explique-t-il pas qu’ « on peut se fier au projet d’atteindre 21 millions de tonnes en 2020 (dix fois plus qu’en 2005) car il résulte d’engagements pris par les gouvernements français et espagnols ». Mais que vaut un engagement, pris par des élus, au nom d’entreprises privées soumises au marché ? Qui les dissuadera de choisir la route où la voie maritime si elles y ont intérêt ? Qui surveillera et poursuivra les entreprises espagnoles qui n’auront pas opté pour le rail ?

Avant de construire une nouvelle ligne – inutile, rappelons-le – soyons prudent. Cette prudence ne conviendra sans doute pas à RFF dont l’intérêt est dans le lancement de ce projet. Il répond à sa mission. Mais il faut savoir qu’en tant qu’Etablissement Public, RFF n’encourt aucune responsabilité en cas d’échec ! Serait-il aussi entreprenant si tel n’était pas le cas ?

Ma position décevra également ceux qui dénoncent le « mur de camions ». Mais ils ignorent bien souvent que le fret ferroviaire est en voie d’extinction. J’affirme qu’ils seront mieux servis par une autoroute portée à trois voies. Je ne demande qu’à avoir tort ! Mais cela nécessiterait que les pouvoirs publics encouragent réellement le fret rail. Cela passerait également par la fin du monopole de la Sncf, l’entreprise publique ayant largement fait la preuve de son total désintérêt pour ce mode de transport. En attendant ce monde meilleur, et j’en ai peur, utopique, la construction d’une nouvelle ligne TGV relève davantage de la fuite en avant que de l’aménagement, raisonné, du territoire.

Jacques SAINT-MARTIN,
Président d’honneur
de la Chambre de Commerce
de Bayonne, Pays Basque

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